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L’intelligence artificielle (IA) joue rapidement un rôle de plus en plus important dans notre société. Le potentiel de progrès qu’offrent ces technologies est immense. Les défis qu’elles impliquent le sont tout autant.
L’IA a le potentiel de changer radicalement la manière dont nous travaillons, communiquons et même vivons ensemble. Si elle est mal utilisée ou à de mauvaises fins, elle peut également avoir de graves conséquences négatives, notamment en termes de vie privée, de sécurité ou de dignité humaine.
Dans ce contexte, je pose les questions suivantes au Conseil fédéral :
- Est-il prêt à lancer un programme national de recherche sur l’impact de l’IA sur notre société et notre démocratie, sur les conditions-cadres qui peuvent être mises en place pour elle et sur la manière dont elle peut être développée à des fins bénéfiques pour tous ?
- Prévoit-il de créer un cadre juridique spécifique pour les technologies utilisant l’IA ou estime-t-il que la législation actuelle est suffisante ?
- Selon lui, quel sera l’impact de la nouvelle réglementation de l’UE sur la législation suisse ? La Suisse devra-t-elle prendre des mesures pour s’adapter ou pour obtenir la reconnaissance d’équivalences ?
- Quelle influence les négociations en cours sur une convention du Conseil de l’Europe sur “l’intelligence artificielle, les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit” peuvent-elles avoir sur la Suisse et sa législation ? L’avant-projet de convention a été récemment publié par le Comité sur l’intelligence artificielle (CAI), qui est d’ailleurs présidé par un Suisse. La Suisse prévoit-elle d’adapter sa législation ? Les travaux ont-ils déjà commencé dans ce domaine ?
- Quelles mesures devraient être prises pour s’assurer que le développement de ces technologies en Suisse trouve un cadre réglementé mais favorable et que les entreprises actives dans ce domaine soient créées ou s’établissent en Suisse ?
- La Suisse ne devrait-elle pas développer une stratégie globale couvrant ces différents aspects ? Le Conseil fédéral est-il prêt à s’atteler à cette tâche ?
Avis du Conseil fédéral du 30.8.2023
Le Conseil fédéral a déjà pris de nombreuses mesures pour garantir une utilisation responsable de l’intelligence artificielle (IA). Sur la base du rapport du groupe de travail interdépartemental “Intelligence artificielle” paru en 2019, il a élaboré des lignes directrices pour l’utilisation de l’IA au sein de l’administration fédérale et a mis en place le Réseau de compétences en intelligence artificielle (CNAI) a vu le jour.
Il existe des procédures établies pour le lancement d’un Programme national de recherche. Dans ce cadre, les milieux intéressés peuvent soumettre des propositions de thèmes selon le principe bottom-up. Sur cette base, le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) élabore des propositions de programme dont la faisabilité est ensuite examinée par le Fonds national suisse. Le Conseil fédéral a déjà lancé le Programme national de recherche PNR 77 “Transformation numérique”, dans lequel des recherches sont également menées sur l’IA – notamment dans le module de recherche “Ethique, fiabilité et gouvernance”. Une proposition sur la démocratie numérique a en outre été examinée dans le cadre du cycle de sélection du PNR 2022/2023. Cet examen a été négatif, notamment parce que de nombreux recoupements avec le PNR 77 ont été constatés (voir à ce sujet les réponses aux Demande 23.7210 et Interpellation 23.3281).
Les effets de l’utilisation de l’IA dépendent fortement du contexte. C’est pourquoi le Conseil fédéral a déjà pris des mesures réglementaires dans certains domaines. Il a notamment chargé le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) d’élaborer un projet de réglementation des grandes plateformes de communication. Ce projet vise à renforcer les droits des utilisateurs en Suisse et à accroître les exigences de transparence pour les plateformes. La nouvelle loi sur la protection des données, qui entrera en vigueur le 1er septembre 2023, vise également à adapter la protection des données à l’état de la technique. Elle contient des dispositions relatives aux décisions fondées exclusivement sur un traitement automatisé des données. Dans le cadre de la consultation actuellement en cours sur la modification de la loi sur le droit d’auteur (droit voisin pour les éditeurs de médias), il s’agit de déterminer s’il existe un besoin de réglementation en ce qui concerne l’utilisation de l’IA générative.
Au niveau international, le Conseil fédéral suit les négociations internes à l’UE sur le règlement établissant des règles harmonisées en matière d’intelligence artificielle (loi sur l’intelligence artificielle, “AI Act”). Ces négociations devraient aboutir fin 2023 ou début 2024. Avant d’envisager une éventuelle adaptation du cadre juridique suisse pour réglementer l’utilisation de l’IA sur le modèle de l’ ”AI Act”, il convient d’en analyser les conséquences en détail et de peser soigneusement les intérêts en jeu. Une telle analyse ne pourra toutefois être effectuée que lorsqu’un texte de règlement définitif sera disponible. Par ailleurs, la Suisse participe activement aux négociations du Conseil de l’Europe en vue d’une convention dans ce domaine et y fait valoir ses intérêts et ses valeurs. La Suisse préside le comité compétent. Si la Suisse ratifie la convention, elle sera ensuite tenue de la mettre en œuvre au niveau national. Il faudra attendre la fin des négociations pour savoir si des adaptations légales sont nécessaires.
Dans son avis sur le Postulat Dobler (23.3201) le Conseil fédéral a déjà indiqué qu’il procéderait à une analyse politique dans le cadre des organes fédéraux existants (notamment le groupe de coordination interdépartemental pour la politique numérique de l’UE, la Plateforme tripartite, le monitoring des lignes directrices en matière d’IA et le réseau de compétences en IA de l’OFS (CNAI)). Tous les services fédéraux responsables des domaines juridiques concernés participent à ces travaux. D’ici fin 2024, les besoins d’action ainsi que les options possibles pour des mesures sectorielles et, si nécessaire, horizontales seront mis en évidence.