Inter­pel­la­ti­on Hilt­pold (10.3396) : Dif­fu­si­on arbi­trai­re de pho­tos ou de vidé­os et pro­tec­tion des per­son­nes concernées

Inter­pel­la­ti­on Hilt­pold (10.3396) : Dif­fu­si­on arbi­trai­re de pho­tos ou de vidé­os et pro­tec­tion des per­son­nes concernées
Refusé (19.6.2013)

Tex­te soumis

Je deman­de au Con­seil fédé­ral d’in­di­quer com­ment la dif­fu­si­on arbi­trai­re d’i­mages pri­ses avec l’ac­cord de la per­son­ne pho­to­gra­phiée est trai­tée dans le droit pénal. Si l’ab­sence de mesu­res péna­les dans ce domaine devait se con­firm­er, je deman­de au Con­seil fédé­ral d’in­di­quer éga­le­ment si la pos­si­bi­li­té d’u­ne révi­si­on de la loi dans ce sens a déjà été exami­née ou est en cours d’examen. 

Justi­fi­ca­ti­on

Grâ­ce aux pro­grès tech­no­lo­gi­ques de ces der­niè­res années, les pho­tos et les vidé­os peu­vent aujour­d’hui être dif­fusées faci­le­ment et rapi­de­ment par MMS, e‑mail ou télé­char­ge­ment sur Inter­net – pour ne citer que quel­ques exemp­les. De plus en plus sou­vent, des pri­ses de vue réa­li­sées avec l’ac­cord de la per­son­ne con­cer­née sont dif­fusées à son insu. On pen­se ici en par­ti­cu­lier aux pho­tos pri­vées pri­ses en tou­te con­fi­ance qui sont dif­fusées ou publiées par ven­ge­an­ce ou com­me mau­vai­se plaisanterie.

La loi fédé­ra­le sur la pro­tec­tion des don­nées et les dis­po­si­ti­ons du code civil sur la pro­tec­tion de la per­son­na­li­té (artic­les 28 et sui­vants du code civil) offrent cer­tes une cer­taine pri­se pour la pré­ven­ti­on, la défen­se et la répa­ra­ti­on du tort moral dans des cas com­me celui évo­qué ci-des­sus. Mais la dif­fu­si­on arbi­trai­re d’i­mages pri­vées pri­ses avec le con­sen­te­ment de la per­son­ne con­cer­née ne sem­ble pas être cou­ver­te par le droit pénal (sous réser­ve des cas énu­mé­rés à l’ar­tic­le 197 CP).

Avis du Con­seil fédéral

Le Con­seil fédé­ral par­ta­ge bien enten­du l’a­vis expri­mé en sub­stance par l’au­teur de l’in­ter­pel­la­ti­on, selon lequel il n’est pas défen­da­ble de dif­fu­ser des pho­tos et des vidé­os pri­vées, voi­re inti­mes, par MMS, e‑mail ou Inter­net sans le con­sen­te­ment de la per­son­ne con­cer­née, même si elles ont été pri­ses avec l’ac­cord de cet­te dernière.

Tou­te­fois, ce com­porte­ment n’est pas punis­sa­ble en soi, sauf s’il s’a­git d’u­ne att­ein­te à l’hon­neur au sens des artic­les 173 à 178 du Code pénal sui­s­se (CP ; RS 311.0), ce qui serait le cas, par exemp­le, de pho­tos ou de vidé­os fal­si­fi­ées com­portant des élé­ments portant att­ein­te à l’hon­neur de la per­son­ne con­cer­née. En out­re, il est très peu pro­ba­ble que le com­porte­ment en que­sti­on tom­be sous le coup de l’ar­tic­le 67 de la loi fédé­ra­le sur le droit d’au­teur et les droits voisins (LDA ; RS 231.1), car il est dif­fi­ci­le d’i­ma­gi­ner que de tel­les pho­tos ou vidé­os pui­s­sent con­sti­tuer des œuvres au sens de l’ar­tic­le 2 LDA.

Le com­porte­ment en que­sti­on n’est donc pas puni par le droit pénal en vigueur, mais il en va autre­ment selon le droit civil. Il peut être cou­vert par les artic­les 28 et sui­vants du Code civil sui­s­se (CC ; RS 210). Le droit à l’i­mage fait par­tie des droits de pro­tec­tion de la per­son­na­li­té selon l’ar­tic­le 28 CC. Selon ce droit, la dif­fu­si­on d’u­ne pho­to ou d’u­ne vidéo sans le con­sen­te­ment de la per­son­ne con­cer­née con­sti­tue une att­ein­te à la per­son­na­li­té, indé­pen­dam­ment du fait que les images aient été pri­ses avec le con­sen­te­ment de la per­son­ne men­ti­onnée. Demeu­re réser­vé le cas où la dif­fu­si­on est justi­fi­ée par un inté­rêt pri­vé ou public prépon­dé­rant. Est con­sidé­ré com­me inté­rêt prépon­dé­rant, par exemp­le, le man­dat d’in­for­ma­ti­on de la pres­se ou la loi (art. 28, al. 2, CC). La dif­fu­si­on de pho­tos et de vidé­os dans les con­di­ti­ons décri­tes par l’in­ter­pel­la­teur con­sti­tue une att­ein­te à la per­son­na­li­té de la per­son­ne con­cer­née qui n’est pas justi­fi­ée par un inté­rêt prépon­dé­rant pri­vé ou public et qui est donc illi­ci­te. Out­re les actions en dom­mages-inté­rêts et en répa­ra­ti­on du tort moral ain­si que la remi­se du gain con­for­mé­ment aux dis­po­si­ti­ons sur la gesti­on d’af­fai­res sans man­dat (art. 28a, al. 3 CC) et les mesu­res pro­vi­si­on­nel­les (art. 28c CC), la per­son­ne con­cer­née peut se défend­re cont­re une att­ein­te illi­ci­te à sa per­son­na­li­té en deman­dant au juge d’in­terd­ire l’att­ein­te (art. 28a, al. 1, ch. 1 CC), de la sup­p­ri­mer (art. 28a, al. 1, ch. 2 CC) ou d’en con­stater le carac­tère illi­ci­te (art. 28a, al. 1, ch. 3 CC). Il con­vi­ent de noter que le com­porte­ment évo­qué par l’in­ter­pel­la­teur est éga­le­ment cou­vert par la loi fédé­ra­le du 19 juin 1992 sur la pro­tec­tion des don­nées (LPD ; 235.1), notam­ment par les artic­les 2, 3, lett­res a et e, 4, 3e ali­néa, 12, 13 et 15 LPD. Ces dis­po­si­ti­ons ne vont tou­te­fois pas au-delà de l’ar­tic­le 28 CC et l’ar­tic­le 15 LPD ren­voie aux artic­les 28 et sui­vants CC en ce qui con­cer­ne les droits de la per­son­ne con­cer­née et la pro­cé­du­re. CC. Enfin, en lien avec le thè­me con­ne­xe de la cyber­in­ti­mi­da­ti­on, il con­vi­ent de men­ti­on­ner que le Con­seil fédé­ral, dans son rap­port du 26 mai 2010 en répon­se au postu­lat Schmid-Fede­rer 08.3050, con­clut que les nor­mes en vigueur sont suf­fi­san­tes pour pour­suiv­re et punir cet­te for­me d’intimidation.

Le Con­seil fédé­ral est d’a­vis que la régle­men­ta­ti­on sus­ment­i­onnée suf­fit à défend­re effi­ca­ce­ment les droits de la per­son­ne con­cer­née cont­re le com­porte­ment évo­qué par l’in­ter­pel­la­teur. Il con­vi­ent de men­ti­on­ner à cet égard que le droit pénal ne doit punir un com­porte­ment que si les aut­res dis­po­si­ti­ons de l’ord­re juri­di­que ne suf­fi­sent pas. Il s’en­su­it que le Con­seil fédé­ral n’a pas esti­mé ou n’e­sti­me pas néces­saire d’ap­pro­fon­dir la que­sti­on de l’op­por­tu­ni­té d’u­ne dis­po­si­ti­on qui sanc­tion­ner­ait péna­le­ment le com­porte­ment en question.